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photo forêt automne

-I- Introduction

On se souvient tous de l’image du petit chien Idéfix pleurant devant un arbre déraciné par cet enrobé d’Obélix dans les albums de nos deux irréductibles gaulois. Ah, ce petit hypocrite d’Idéfix qui, une fois ses larmes essuyées, allait se coucher bien gentiment à côté du lit en bois, chauffé par le beau feu de bois de la cheminée, dans la maison en bois, protégée par les beaux remparts en bois du village… Vous avez suivi ? Bon, il est vrai que ce petit chien n’a rien demandé à ce niveau ; mais ce trait d’humour peut déjà nous en apprendre davantage sur nos propres comportements humains.

Aujourd’hui l’industrie du bois est un lobby important de notre société et à juste titre, le bois est partout, avez-vous remarqué ? Au moment où j’écris ces lignes, je suis accoudé sur mon bureau en bois et je vois 4 ou 5 autres meubles de bois autour de moi, ce midi encore je préparais à manger avec une cuillère en bois. J’aime le bois, j’adore le bois ! Et pourtant lorsque sur mon terrain j’ai construit une cabane pour m’abriter des durs hivers bretons, j’ai coupé une trentaine d’arbres. Ai-je nui à mon environnement ? Peut-on couper la forêt et prétendre l’aimer ? Comment se porte la forêt française depuis l’époque de low-tech par définition, le moyen-âge ? Est-elle en bonne santé de nos jours ? Nous avons réuni des personnes dont la forêt est le travail ou la passion afin de démêler le vrai du faux !

-II- Nos intervenants

Petite présentation par ordre alphabétique, explicitant leur lien avec le thème de l’article. Un grand merci à eux pour leur temps libre, j’ai reçu pas mal de refus ailleurs de gens « trop occupés » pour en parler et je comprends bien que les professionnels ont plein d’autres choses à faire. C’est donc tout à leur honneur d’avoir dégagé du temps dans leurs agendas pour échanger en tchat puis de répondre aux questions, de relire, corriger, commenter !

Hugo Liottier : ancien technicien forestier pendant 3 ans, diplômé d’un lycée agricole en science et technologie de l’agronomie, suivi d’un BTS en gestion forestière. Il passera ensuite un BPJEPS environnement et développement durable (le fameux EEDD qu’ont beaucoup d’animateurs nature). Il est désormais responsable d’un service enfance, d’où il ne perd pourtant pas de vue son rapport à la nature.

Jean : architecte-urbaniste et paysagiste breton depuis plus de 25 ans s’il vous plaît, il a participé à pas mal de projets en Ille-et-Vilaine et vous avez sûrement longé sans le savoir des espaces naturels en ville ou à la campagne auxquels il a donné vie par son coup de pinceau. Il est également très impliqué dans la communauté scoute bretonne (SGDF) et c’est tout naturellement que j’ai pensé à lui pour me parler de la forêt, qu’il connaît aussi bien personnellement que professionnellement.

Laurent Thily : éducateur de grimpe d’arbre depuis 15 ans, vous pouvez retrouver ses activités sur son site ( www.utopiarbre.fr ). Il est membre du Groupe National de Surveillance des Arbres de Rennes ( GNSA www.gnsafrance.org ) qui effectue un gros travail de terrain pour vérifier que les coupes d’arbres en secteur public soient légales et respectueuses. Il est enfin cueilleur-grimpeur pour l’ONF ( www.sitka.fr ). En résumé, il adore monter dans les arbres, pour le travail ou le perso, et faire monter des gens. On a un gros point commun, puisque la Skol Louarn lance un programme d’accessibilité de la nature pour les personnes en situation de handicap ( https://www.skol-louarn.com/2020/12/12/un-nouveau-programme-destine-aux-personnes-en-situation-de-handicap/ ) et qu’il organise notamment des sessions de grimpe d’arbre pour les PSH, une collaboration à venir peut-être ? (Lolo je te tends une belle perche ha ha).

Pascal : également membre du GNSA de Rennes avec Laurent, il est également président de l’association La Nature en ville à Rennes (créée en 2010), il se définit avec humour comme « activiste tout terrain » et autodidacte.

Stéphane Serre : également membre actif du GNSA de Rennes avec Laurent et Pascal (il y avait une promo au GNSA, j’ai raflé toute la bande, merci à Lolo) est un ancien paysagiste-pépiniériste. Il a travaillé 5 ans dans l’environnement en Nouvelle-Calédonie comme accompagnateur en sorties pédestres, cordiste spécialisé en milieu confiné et explosif. Il est désormais éducateur en grimpe d’arbre.

Enfin, cet article n’aurait pas été complet sans un apport scientifique. Via un ami (merci Baptiste !) j’ai fait la connaissance de Sébastien, diplômé d’un master 2 en écologie, désormais écologue depuis 7 ans, spécialisé en milieux aquatiques. Il est sorti de sa rivière un moment afin de nous parler un peu des forêts et de ses habitants, merci à lui et mes excuses pour l’avoir bridé dans la longueur de ses réponses. Il était chaud-bouillant pour nous sortir un recueil scientifique. Pour ceux qui se posaient la question, un écologue est un biologiste qui étudie les milieux et les êtres vivants.

-III- Nos questions aux intervenants

1- Historique :

Par rapport au moyen-âge, période rurale par excellence et pré-révolution industrielle, avons-nous plus ou moins de forêt en 2020 ? Utilisons-nous plus de bois qu’avant (en France) ?

Hugo, notre ancien technicien forestier, précise que le volume de forêts au moyen-âge fluctuait pas mal selon les besoins de chaque siècle. En cas de guerre ou d’expansion maritime, les besoins pouvaient doubler, ou en cas de campagne royale de sécurisation des chemins (à l’époque forêt = insécurité = couper les arbres) on pouvait couper davantage, sans forcément utiliser tout le bois. Pour lui nous avons une utilisation différente du bois, mais toute aussi importante de nos jours.

D’emblée, Stéphane recadre la question en m’expliquant « 2 époques, 2 ambiances », pour introduire son propos. Au moyen-âge, il fallait du bois pour TOUT, de la construction de l’habitat humain, au déplacement naval, aux moyens de locomotions terrestres (charrettes…), au chauffage. Il faisait partie intégrante du mode de vie, et il faut dire qu’il y avait bien moins d’humains en ces temps-là, insiste-t-il. En 2020, disons-le clairement, nous « consommons » le bois, en faisant énormément d’emballages, de cagettes, de palettes en tout genre, pas toujours recyclables ou recyclées. Jean plussoie son avis sur l’augmentation des biens de consommations en bois (papier, cagettes, meules). De plus, nous sommes devenus vraiment nombreux, on abat à tour de bras dans les espaces naturels pour fournir tout ce petit monde.

Pour Laurent, son collègue du GNSA, il y a bien davantage de superficie de forêt qu’avant. Toutefois, c’est sur la qualité des forêts qu’il attire mon attention. Si toute la France était couverte d’épicéas, ce serait la fin de la vie animale par exemple. Selon lui, on utilise moins de bois qu’au moyen-âge, par contre on en vend beaucoup plus. Jean est d’accord avec lui, on a beaucoup plus de forêts aujourd’hui, les terres difficilement cultivables mécaniquement ont progressivement été abandonnées, notamment depuis 1945 (WW2). Ces terres se sont naturellement et majoritairement boisées, la nature y reprenant ses droits, surtout en montagne précise Jean.

Quant à savoir si on utilise plus de bois, pour le chauffage il répond non, les alternatives d’énergies sont nombreuses et bien mieux gérées qu’auparavant. Quoi que, il constate un retour en flèche de la consommation dans la filière bois-énergie (confirmé par Pascal), avec une propagation importante des poêles pour se chauffer à la campagne. En dépit de toutes nos forêts, il rappelle que nous importons beaucoup de bois de l’étranger (exotique mais aussi d’Europe de l’Est et du Nord).

Tant qu’à informer les lecteurs, Pascal attire mon attention sur une infographie du ministère de l’agriculture, que je mettrais en annexe. On y apprend que la forêt grandit semble-t-il de presque 1% par an, donc croissance positive ! Elle couvre 31% du territoire français. 2/4 de sa production sert à faire des planches diverses (meubles…), ¼ sert à faire des piquets, des poteaux et le dernier ¼ sert au bois-énergie (bûches, pellets). Il me parle également d’une étude de l’ADEME que je mettrais en annexe et qui surveille attentivement la production de déchets de la filière du bois avec des axes de valorisation pour l’horizon 2025, à suivre de près donc. Enfin, il conclut en mentionnant la première conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe (1990) initiée par… la France, débouchant sur une politique inédite de conservation des ressources génétiques forestières.

2- Santé :

De nos jours, on parle de maladies, de parasites, d’invasions d’espèces non-endémiques, de feux de forêt, difficile de s’y retrouver ! Comment va la forêt française ?

Jean, me rappelle en introduction de sa réponse, que la forêt française n’est pas une et indivisible, mais variée et riche, donc difficile de répondre précisément. On trouve des forêts publiques ou privées, pas gérées de la même façon, des forêts en montagne ou en plaine, des forêts cultivées ou en friches. Pour compléter, Pascal ajoute qu’il existe 4 types de forêts en France : en plaine, en littoral, en montagnes et en outre-mer (grande diversité). Jean poursuit au sujet de l’invasion d’espèces non-endémiques, ce n’est pas que la forêt qui est touchée mais tous les espaces naturels. Il relativise à cet égard en précisant que beaucoup sont des écosystèmes très concurrentiels ou peu d’espèces non-endémiques arrivent à se développer naturellement (la nature sait se défendre). Par contre, les milieux aquatiques sont beaucoup plus impactés selon lui (je pense pour ma part aux crevettes américaines du Lac de Trémelin entre Rennes et Saint Brieuc, arrivées là à cause de dépôts humains et qui mettent à mal la faune aquatique locale car très agressives).

Sentant que le but de l’article est de faire parler les intervenants et non votre serviteur, Jean a anticipé et fourni un début de présentation écologique pour mieux comprendre les réponses attenantes à l’état de santé de nos forêts (merci à lui !). Il m’explique que de base, la nature évolue selon un schéma globalement identique et qui abouti à une situation stable, pouvant durer des millénaires et que l’on nomme le climax. Cet état stable est, majoritairement une forêt, qui amène différentes strates de végétations, offrant un abri à différents types d’animaux. Cette évolution dépend du stade de départ et des conditions écologiques (sol, eau, lumière). Selon ces conditions, l’évolution peut-être arrêtée en cours, comme pour le maquis méditerranéen où les activités humaines ont appauvri le sol, voir l’ont quasiment fait disparaître, marquant la fin de cette évolution.

Ainsi, des espèces d’arbustes et d’arbres sont plus ou moins bien adaptées à un des stades d’évolution. Par exemple les saules, peupliers, bouleaux, sont dites pionnières (aller en plaine ne les dérange pas) tandis que les chênes et les hêtres sont dites climaciques, donc plutôt en milieu forestier. Ce qu’il faut en conclure, c’est que les premières espèces seront naturellement habituées aux variations de leur environnement mais avec une espérance de vie individuelle faible, alors que les autres supporteront mal les variations, par contre avec une espérance de vie très longue. Pour Hugo, au passage, cette diversité d’espèces en France prouve la bonne santé générale de nos forêts, même si chaque région a son essence phare (les pins des landes, les chênes basques ou bretons…).

Ceci étant expliqué, Jean me répond sur la question. La forêt est actuellement surtout fragilisée par le réchauffement climatique car elle est peu résiliente du fait de son exploitation. Les échanges internationaux favorisent la dissémination des agents pathogènes, qui touchent des espèces non-habituées à ces maladies / parasites. De plus, le progrès pousse à la monoculture, qui elle pousse à un appauvrissement des espèces et de leurs résistances. Cela renforce directement ses impacts et déborde logiquement sur le système économique forestier qui en dépend exclusivement. Autrefois, les forêts mélangées (plus sauvages peut-être) pouvaient plus facilement s’adapter.

Aussi, en lien avec l’explication antérieure, malgré un patrimoine génétique plus riche que chez l’Humain, les arbres ne sont pas tous capables d’absorber les évolutions de son écosystème. Pour Jean, l’état de santé de la forêt française est donc en partie du à son exploitation, qui n’a pas aidé à la rendre résiliente. La poursuite de la culture de parcelles à une seule espèce (locale ou exotique) est lié à un impératif économique simple, mais pas résilient. On retrouve le même problème dans notre agriculture qui tend vers des exploitations industrielles monospécifiques. Stéphane répond assez rapidement en accord avec Jean : la surexploitation humaine est en grande partie responsable de l’état actuel de nos forêts. Hugo rajoute qu’il a constaté, comme partout, une standardisation des produits forestiers, on veut une seule essence et un seul diamètre, pour augmenter leur rentabilité aux scieries, avec une seule gestion (ONF) qui impose un mode d’organisation sur le territoire. Il n’est pas forcément contre mais il nous avertir de nous méfier de l’uniformisation.

La surveillance de la santé des forêts en France, souligne Pascal, est gérée par le DSD (Département de la santé des forêts, on ne peut pas trouver meilleur nom) qui publie régulièrement une lettre saisonnière pour informer le public (voir le site du ministère de l’agriculture). Pour lui, avec près de 138 essences d’arbres et donc 75% des essences que l’on retrouve en Europe, on est pas mal ! Il ajoute un argument que personne n’avait mentionné avant, celui de du rôle indispensable des arbres dans nos écosystèmes, notamment celui de filtrer / absorber le CO2. A ce sujet il cite un article (voir annexe) de la WWF qui parle de 20% des gaz à effet de serre issus de l’exploitation forestière dans le monde. D’un côté les arbres essaient de nous débarrasser du CO2, et non content de cela nous en produisons encore plus pour les en empêcher, c’est le monde à l’envers. Plus que le simple CO2, il insiste sur la nécessité de conserver les forêts en bonne santé car un autre rôle est celui de stocker l’eau de pluie. Lorsque celle-ci, stockée par l’arbre, s’évapore sous l’action du soleil, elle participe à humidifier l’air en masse, et ces gouttes d’eau qui une fois sous terre ne serait pas ressorties de suite, vont rapidement retomber sous forme d’eau, pour en faire profiter tout le monde.

J’ai appris quelque chose de très intéressant grâce à Pascal, qui conclut que le cercle est forcément vicieux : on coupe les arbres ce qui fait que le CO2 se balade librement, ce qui augmente la température de notre planète, mais également on diminue la quantité ou la régularité des pluies qui vont contribuer à l’assèchement des végétaux, des rivières et donc du climat. Les changements climatiques que nous produisons, amènent à davantage de changements climatiques, dur dur. Il préconise, comme l’ONF, d’éliminer progressivement les émissions de combustibles fossiles pour empêcher cet emballement climatique dangereux (article ONF en annexe).

Laurent exprime sa difficulté à répondre à un sujet aussi vaste. Pour lui, toutes les forêts ne sont pas en excellente santé, la faute selon lui en bonne partie à l’humain et sa spéculation immobilière. Il dénonce, gentiment mais fermement, la privatisation forestière, avec un petit nombre de privilégiés qui se constituent des petits paradis forestiers ou s’en fabriquent, puis les gèrent à leur manière, rendant inefficace les politiques publiques en la matière. Quoi qu’il en soit, pour lui les changements climatiques vont faire disparaître beaucoup d’essences qui n’y sont pas préparées ou qui n’ont pas leur place dans certains milieux (en France par exemple). Il anticipe un grand remaniement naturel qui se profile à l’horizon.

J’ai posé cette question à Sébastien, notre écologue attitré et grand répondeur de questions devant l’éternel. Il débute par quelques chiffres pour recentrer le débat. « La forêt en France, représente près d’un tiers du territoire soit environ 17 millions d’hectares et cette surface est en expansion. En effet, historiquement la forêt représentait la quasi-totalité du territoire mais l’agriculture et l’exploitation forestière pour la construction navale et les industries ont considérablement diminué sa surface au cours des derniers siècles. Ce n’est que depuis les années 1800 que sa surface a augmenté puisqu’elle était d’environ 10 millions d’hectares en 1830 et de 14 millions en 1985. C’est le 4ème pays européen en termes de surface (10% de la surface boisée européenne). On y recense 136 essences différentes dont l’espèce emblématique est le chêne.

Malgré cette bonne santé apparente, cette forêt est menacée par plusieurs facteurs. Les premiers sont les maladies souvent causées par des insectes ou champignons introduits accidentellement (Laurent du GNSA répond la même chose), par exemple la chalarose du frêne. L’autre menace est bien sûr le réchauffement climatique et notamment les épisodes de sécheresse. Une année sèche en soit ne pose pas tellement de problème, les arbres vont être affaiblis mais sans qu’il n’y ait de mortalité cependant la répétition de ces événements est bien plus problématique et un phénomène de mortalité de plusieurs essences s’accentue dans des proportions jamais connues jusqu’à maintenant ».

Au sujet de ces maladies et parasites, Hugo n’a pas assisté à des choses franchement alarmantes pendant son expérience professionnelle. C’est le lot de tout espace naturel explique-t-il, et sur notre territoire il estime qu’il y a plein de mesures mises en place pour diminuer au mieux leur impact.

Comme vous le voyez, j’ai laissé les réponses entières bien qu’elles soient un peu répétitives, pour vous montrer que cet avis est partagé par la totalité de nos intervenants. La modification de la stabilité climatique terrestre, causée par les activités humaines, est dénoncée par tous comme étant la cause première du mal-être floristique de notre planète. Si vous en doutiez, vous voilà renseigné à ce sujet.

3- Abattage :

On dit que dans le monde un terrain de foot disparaît chaque minute, comment comprendre ce genre de phrases choc ? En France c’est comment ? Certaines associations dénoncent les abattages jugés « illégaux » en ville par exemple, cela doit aussi arriver à la campagne. Si vous avez un avis je suis tout ouïe !

Forcément, parler d’abattage à trois membres du GNSA, c’est un peu comme demander à un anti-chasse son avis sur le tannage à la cervelle d’une peau de biche, cela les rend soudainement très bavard, voyons un peu.

Laurent prend les devants et résume leur pensée à ce sujet. Il me raconte que le rythme actuel des abattages n’a jamais atteint une telle ampleur auparavant. Les maires n’écoutent plus les riverains, les promoteurs sont rois et ce malgré le code de l’environnement, les textes de loi, les procès engagés (et souvent gagnés par son association), les alertes sur les réseaux sociaux, la prise de parole de personnalités, les regroupements grandissants des citoyens (GNSA, LPO, OBF, SNGEA). Heureusement, me confie-t-il, les gens sont plus sensibles qu’avant, ils ont compris que les promesses d’un monde meilleur n’allaient pas se réaliser sans se retrousser les manches.

Il m’explique, même si cela fait clip américain pour les présidentiels l’anecdote m’a touché, qu’encore hier matin (fin décembre 2020) il a été ému par un père marchant avec sa fille dans une rue où le GNSA venait de poser une affiche en hauteur sur des arbres bientôt abattus. Le père marchait en regardant le trottoir, perdu dans ses pensées, la petite voit la banderole dans les arbres et arrête son père pour qu’il la regarde. Il raconte, que c’est pour cette génération là qu’ils se battent bénévolement, quitte à perdre du temps en famille ou à se reposer, pour qu’ils aient encore une « nature en ville ». Nous, dit-il, nous ne récolterons rien de nos actes actuels, car en terme d’âge tout est décalé de plusieurs décennies (on ne plante pas un arbre en espérant s’allonger sous son ombre, mais pour que nos enfants le fassent).

Il s’occupe lui, de la partie campagne et il ne peut que constater que c’est ingérable dans ce milieu. Si en ville on coupe une branche ou parfois un arbre, à la campagne on rase quotidiennement des chênes centenaires juste pour se chauffer. Il reconnaît que les agriculteurs n’ont pas une vie facile et déjà bien compliquée (rappelant le taux de suicide journalier). Ils vivent grâce à la nature, et pensent parfois à tord bien la connaître, alors ils coupent, parfois ils enterrent des saletés à grand coup de tracteur pensant que le plastique qu’on ne voit plus, ne fait plus de mal. Vous l’aurez compris, ça l’énerve qu’on coupe n’importe comment !

Son collègue Pascal nous rappelle un autre chiffre au passage, en terme de déforestation on parle (voir annexe l’article de Planète Altruiste) de 2400 arbres coupés chaque minute. Si on pouvait savoir combien on en plante par minute, on dormirait sûrement mieux (à condition que ce soit au bas mot 2401 bien sûr).

Ensuite, Jean reprend le flambeau pour ajouter quelques précisions. Déjà, il me fait remarquer qu’un terrain de foot est une unité de grandeur, cela ne nous apprend rien en terme de nature des surfaces concernées (forêt, friches, terres agricoles, forêt primaire). Aussi, il attire mon attention sur ces formules un peu abusives qui ne veulent parfois rien dire. Pour lui, le constat des pays développés est que les zones urbaines augmentent, au détriment des autres. En France cela est dû à plusieurs phénomènes sociologiques comme : l’augmentation de la population ; la diminution depuis 1945 de la taille des ménages (divorces, familles monoparentales, nombres d’enfants moins importants) ; un désir de confort qui induit l’augmentation de la taille des habitations.

Ces phénomènes entraînent un besoin de parcelles d’habitations supplémentaires. Pour lutter contre cela, les politiques publiques obligent à densifier les zones urbaines selon deux solutions : de nouveaux quartiers aux parcelles plus petites, ou des collectifs nombreux et toujours plus hauts. Pour préparer ces terrains, on abat avec bien peu d’égard, il est vrai. Les arbres sont assez peu protégés en France et les rares outils réglementaires sont peu utilisés ou difficilement appliqués. En ville par exemple, il me parle des PLU (Plan Local d’Urbanisme) qui sont de plus en plus utilisés mais ne parviennent pas à garantir la pérennité des arbres. Dans le sous-sol, les racines doivent cohabiter avec des réseaux qui peuvent les endommager ou leur prendre de l’espace utile, quand ce n’est pas des textures solides (béton, goudron) qui leur bloque carrément le chemin. En aérien, beaucoup de revêtements sont hostiles à la végétation et peuvent l’assécher ou l’abîmer ; quand ce ne sont pas les usagers qui se plaignent des arbres ou les abîment directement.

En paysagiste confirmé, Jean détaille un peu les conditions idéales des arbres. Pour qu’un arbre se développe, il faudrait idéalement qu’il n’y ait que des espaces verts au droit des couronnes (à la partie la plus vaste) soit pour un chêne 200 m2 (soi un carré vide de 15mx15m autour de chaque arbre). Difficilement envisageable, reconnaît-il, hormis dans les parcs urbains. Partout où la taille allouée à un arbre est moindre, considérez que l’arbre est un bonsaï, en stress permanent (coupé, poussé, bloqué) et donc en incapacité à surmonter toutes ces variations de son environnement. En résumé, Jean exprime avec regret que les arbres ne sont pas adaptés à nos villes, ou plutôt nos villes ne sont pas bâties de façon à s’adapter aux arbres, en dehors des parcs.

Pour la campagne, Jean rejoint assez largement Laurent. Les pratiques agricoles compromettent la survie des arbres. Le remembrement pour favoriser la mécanisation, a fait disparaître un grand nombre de haies dans nos campagnes. Les haies restantes, souvent conserver dans le cadre des « baux » pour le bois de chauffage, ne se développent plus et tendent à disparaître au gré des évolutions du droit du sol. Seule lumière à l’horizon, certains élus soucieux du patrimoine arboré sont parvenus à classer des haies « espaces boisés classés », sauf que dans les petites communes tout se sait et régulièrement les propriétaires coupent tout avant la mise en application du document d’urbanisme de peur de ne plus pouvoir en récolter le bois par la suite. Dur dur de changer les mentalités.

Nous avons la chance d’avoir l’avis d’Hugo, ancien technicien forestier, qui ne pense pas que ce soit si mal géré que cela, les abattages. Pour lui, les exploitations françaises sont bien contrôlées, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elles rapportent de l’argent et si elles sont mal gérées, elles perdront tout bêtement en rendement et pour les propriétaires ce serait problématique. Ensuite, elles sont dangereuses et accidentogènes, ce qui fait qu’on les contrôle régulièrement et on n’hésite pas à apporter des solutions concrètes et rapides (par exemple la création de fossés anti-feu). Encore, une exploitation forestière ne passe pas inaperçu et il ne serait pas possible de cacher des abattages, en forêt publique comme privée. Enfin, plusieurs labels (pas infaillibles certes) permettent de savoir d’où vient le bois, si sa provenance est légale et durable.

Selon lui, il faut garder en tête que le bois dit illégal est souvent du bois tropical, très coûteux, servant pour faire des meubles ou du parquet, donc en France on est pas énormément concerné. Il m’oriente plutôt vers les conditions d’exploitations de ces forêts plutôt que sur la coupe qui est bien contrôlée (obligation de replanter plus que l’on ne coupe etc…). Sont-elles respectueuses de l’environnement ? Des milieux naturels ? C’est là que se situe le vrai débat, à son sens.

4- Économie :

On dit souvent qu’en France les forêts sont « exploitées » au sens économique du terme (sociétés d’abattage, propriétaires privés, Office National des Forêts). Existe-t-il un moyen de gérer nos forêts autrement qu’en les exploitant ? Peut-on couper dans les forêts pour en tirer un gagne-pain sans nuire pour autant à la forêt ?

Jean m’explique qu’il a un peu de mal à formuler sa réponse, car que veut dire exploiter, que veut dire gérer ? Les sylviculteurs par exemple, sont considérés à tort ou à raison comme des paysans de la forêt, qui l’exploitent comme un paysan exploite la terre, sans y voir forcément de côté péjoratif. Mais à ce titre, ils ont connu les mêmes dérives que le monde agricole pour le coup. Travailler plus, plus efficacement, plus vite, implique davantage de machines et de rendement, cela ne semble pas aller dans le sens de la nature. Jean souligne aussi qu’une part importante de nos forêts ne sont pas exploitées car friches agricoles ou terrains privés non-entretenus, donc difficile de quantifier tout cela. Quand on sait qu’une forêt a la capacité de se reconstruire sur elle-même grâce à la dégradation du bois qui va produire de l’humus et relancer un cycle de pousse végétal… Dans son idée, c’est en connaissant précisément ce dont a besoin une forêt pour se régénérer, qu’on pourra définir la part possible à prélever dans l’exploitation.

Pour Hugo, la forêt n’a clairement pas besoin de nous pour pousser et sait s’autogérer. Maintenant, il faut aussi prendre en compte que la forêt, qu’on le veuille ou non, appartient à des personnes, privées comme publiques, qui sont en charge de la gérer comme ils l’entendent, tant qu’elle reste boisée selon les conditions légalement définies. Une forêt non-gérée est inaccessible pour l’humain, sans débroussaillage, éclaircie, coupe, la forêt comme on l’entend est un milieu qui se referme sur lui-même. Il entend souvent citer des forêts comme étant magnifiques et naturelles, alors qu’elles sont en réalité celles où l’humain est le plus intervenu. Enfin, à la question l’exploitation nuit-elle à la forêt… Il rejoint sa réponse à la question antérieure : ne croyez-vous pas qu’un propriétaire qui gagne de l’argent sur ses parcelles, ait tout intérêt à en prendre soin ?

Quelles alternatives autres ? Hugo propose d’imaginer qu’on parte du principe que la propriété forestière n’existe plus, qu’on décide que la forêt doit rester un milieu fermé et inaccessible pour l’humain, ce qui est un point de vue parmi d’autres me dit-il. Ou alors, soit on part du principe qu’il n’y a pas de méchants exploitants et en face de gentils écolos, et on essaie de concilier l’écologie avec l’exploitation forestière, chose qui se fait déjà sur tout notre territoire français. Notamment via l’instauration de zone protégée servant à l’éducation des bûcherons et autres techniciens à l’environnement. Tout n’est pas parfait, certainement, mais pour il a déjà vu de telles expériences et elles marchent parfaitement (concilier les deux). Une chose est sûre, pour lui les propriétaires et exploitants savent bien qu’ils ont tout à y gagner à voir intervenir des personnes méticuleuses avec l’environnement, que son contraire.

5- Écologie :

On parle souvent du mal-être environnemental dans notre société moderne, qu’il devient urgent d’agir différemment si on veut laisser une Terre à nos enfants. Les forêts sont l’emblème français de notre environnement. Auriez-vous des idées ou un avis sur l’écologie et les forêts françaises ?

Jean nous renvoie à sa réponse à la question 3, son explication liée à l’écologie. Il ajoute néanmoins que la forêt française exploitée ne va pas bien dans le cadre du système économique sylvicole actuel, sans se prononcer sur sa santé globale du fait qu’il existe beaucoup de types de forêts.

Pascal nous propose de voyager en mentionnant comme petite alternative écologique parmi d’autres, la pratique japonnaise du shirin yoku, le fameux bain de forêt où l’on apprend à lâcher prise et à reconnecter avec la nature. Alors oui, ça peut faire sourire de faire un câlin aux arbres, mais je crois surtout (nda) que c’est tout le processus qu’il faut observer. Quand on va faire un bisou aux arbres, on a pris le temps pour soi, on a marché, on a fait son petit sac au calme pour la journée, on va pic-niquer en forêt, donc on va se couper du stress extérieur, et là forcément on commence à bien se détendre. Il rajoute que, pour sensibiliser le public à l’écologie en matière d’arbres, on pourrait citer par exemple les 67 000 décès annuels en France causés par la seule pollution de l’air, seconde cause de mortalité, quand on sait qu’un arbre adulte capte et modifie 20kg/an de particules fines et très fines, quel gâchis.

A ce sujet, Stéphane notre grimpeur de l’extrême et amoureux des arbres, est un peu attristé par la politisation et la financiarisation de l’écologie, qui à son sens polluent complètement le débat, qui devrait être citoyen, à l’image de son engagement au GNSA du Pays de Rennes. Son camarade Laurent ajoute que le mot écologie a été totalement tourné en ridicule par les politiques. Les solutions sont là, depuis la nuit des temps, nous avons toujours su vivre avec et dans la nature. Mais aujourd’hui nous prenons les choses à l’envers, on décide qu’on vivra à tel endroit et tant pis pour ce qui se trouve autour. C’est la raison pour laquelle il s’est tourné vers l’éducation à l’environnement, en visant en détail le public 6-15 ans qui a encore tout à apprendre, alors que selon lui les adultes ne pourront plus être convaincus, il est trop tard. La pire génération étant pour lui celle « de nos parents » (nés en 1930-40) qui n’a pas conscience du changement de vie qui s’est imposé aux jeunes et qui ne réalise pas bien ce qu’elle va laisser derrière elle (la surconsommation, les destructions de milieux naturels, l’hyper-urbanisation).

Il faut miser sur l’éducation selon lui, retourner faire l’école en forêt, construire des cabanes, ramasser des châtaignes et les faire cuire ensuite… J’en profite pour glisser que, c’est à 100% l’objectif de la Skol Louarn, pour les mêmes raisons citoyennes et environnementales, je glisse un peu ma pub au passage ne me jetez pas de glands ! Blague à part, j’envisage sérieusement de créer un club nature au sein de mon entreprise pour proposer tous les premiers… mercredi ou samedi du mois, une réunion avec les enfants en forêt pour traiter un thème précis sur le terrain, n’hésitez pas à me contacter si cela vous plairait (d’aider à trouver des familles ou de ramener vos enfants).

6- Développement :

Est-il vrai que si nous disparaissions, les forêts envahiraient tout comme dans les films futuristes, ou est-ce un mythe car une forêt s’arrête à un moment donné ? La forêt a-t-elle réellement besoin de l’Humain pour être belle ?

Laurent est littéralement mort de rire à ma question, la forêt n’a et n’aura jamais besoin des humains, c’est une évidence, l’inverse est par contre indéniable. Il ne doute pas que si nous devions disparaître, la forêt reprendrait rapidement ses droits, la croissance est son but premier et elle s’est toujours adapté à tout. Peut-être qu’à la fin il ne restera que les plantes les plus invasives (loi de Darwin = le plus fort survit), mais il en restera c’est sûr. Il me cite les séquoias qui résistent au feu, le Ginko aux radiations, les Cyprès aux inondations, les Cactus aux déserts, les Cocotiers qui traversent les océans en flottant. Ils étaient déjà là à l’époque des dinosaures, certaines espèces dominaient déjà la Terre pour alors. A l’échelle des arbres, nous sommes arrivés il y a une poignée de secondes, on a encore beaucoup à apprendre sur eux, les quelques avancées scientifiques à leur sujet sont tout bonnement bluffantes.

Son collègue Stéphane est du même avis, il parle des ruines en France où l’on voit bien qu’en une décennie les pierres tombent avec le lierre rampant, les arbres poussent dans les anciens salons, la mousse dans les cheminées ; ou encore les ruines d’anciennes civilisations (Maya, Marquisienne…) et plus récemment avec Tchernobyl ou Fukushima. La forêt était là avant nous et le sera bien après.

Hugo ne parle pas d’envahir mais reconnaît qu’elle reprendrait clairement sa place originelle en plus ou moins de temps. L’Europe est une zone tempérée, dominée par le chêne. Si l’humain faisait place nette subitement (le covid est un bon exemple à ce propos, pour montrer qu’on est jamais à l’abri d’une disparition massive et inattendue) l’Europe deviendrait sous quelques décennies une grande forêt de chênes complètement inaccessible à l’humain (ou juste à pieds en somme). Par contre, si par « belle » on entend une forêt où l’humain peut se balader, alors il faut qu’elle soit entretenue. Il conclut, et mon âme de moniteur de bushcraft ne peut que s’accorder, en disant que la forêt n’est-elle pas plus belle quand elle montre son côté sauvage et par définition, quand elle est difficile d’accès, qu’elle doit se mériter ? C’est tout un débat, termine-t-il.

En complément, Jean le rejoint en mentionnant une expression parlante. Qu’entend-on par « belle » ? Si belle est une forêt-cathédrale, comme les forêts exploitées par l’ONF avec de belles allées bien droites et rectilignes, des arbres bien droits parce que plantés à la chaîne… alors oui, la forêt a besoin de l’humain. Mais si belle est une forêt vierge, comme une jungle, alors la forêt n’a surtout pas besoin de nous. Il rejoint sa position écologique, la forêt est la forme ultime d’évolution de la nature (climax) et à ce titre elles doivent être préservées le plus possible, cela passe forcément par son étude afin de comprendre de quoi elle a besoin pour 1- persister 2- se régénérer 3- se développer.

La question était assez importante pour que j’aille sortir notre écologue en chef de ses milieux aquatiques, pour lui poser. Sébastien répond posément en analysant ce qu’il connaît déjà des différentes régions du monde, à différentes époques. « Alors non elle n’envahirait pas toute la planète puisque les arbres ne sont pas présents naturellement sur toute la planète, comme les déserts ou les toundras etc… Mais effectivement en l’absence de l’homme (à moins que les zombies se mettent à manger des arbres) la surface de la forêt augmenterait énormément oui et pourrait revenir à sa surface originelle, on estime que cette surface a diminué de 46% depuis l’apparition de l’Homme. Il y aurait des différences sur la répartition puisqu’avec le réchauffement climatique les zones propices à la forêt ont tendance à remonter vers le nord. »

7- Science :

La biologie moderne existe depuis 1802 (Lamarck), que pensez-vous du fait qu’il ait fallu attendre 1990 pour s’intéresser à l’étude des arbres (création de l’UMR PIAF) ?

J’avais prévu cette question en partie pour lui (Sébastien) et je suis content qu’il ait vivement réagi à la tournure de ma phrase (un petit peu provocante pour un scientifique), le voici :

« Alors je ne suis pas trop d’accord. Il faut savoir que la forêt française est gérée depuis très longtemps, on peut citer l’Ordonnance de 1669 de Louis XIV « sur le fait des Eaux et Forêts » rédigée sous l’impulsion de Colbert qui vise à restaurer et protéger la ressource en bois. Actuellement il y a deux organismes qui ont la charge de la gestion des forêts, l’Office National des Forêts (ONF) pour les forêts publiques et le Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour les forêts privées. Même si la majeure partie des missions consistent à la gestion et l’exploitation il y a aussi des scientifiques qui travaillent sur l’étude de l’écosystème forestier en partenariat avec des organismes de recherche, par exemple l’INRAE (anciennement INRA). Un des sujets d’études importants du moment est de trouver les essences d’arbres qui s’adaptent le mieux aux changement climatiques.

Je finis juste sur une info récente, le ministre de l’Agriculture, de l’Alimentaire et des Forêts a annoncé cette semaine (fin décembre 2020) la mise en place d’un plan de repeuplement des forêts françaises afin de lutter contre les effets du réchauffement climatique. Près de 200 millions d’euros vont être débloqués dans les deux prochaines années pour permettre la plantation de quelque 50 millions d’arbres ». Merci Sébastien pour ces informations et cocorico, 200M€ ce n’est pas rien, en espérant que les méthodes utilisées pour planter soit optimisées pour ne pas avoir trop de pertes.

Laurent se jette à l’eau pour cette question scientifique. Il n’en pense certes pas grand chose, mais il observe et voit que chaque génération croit redécouvrir le monde, hors nous vivons des cycles. Ce qu’on découvre aujourd’hui était d’une logique implacable hier et sera sûrement oublié demain. Il y a par contre certaines personnalités, comme Francis Hallé, qui nous font gagner de précieuses années en vulgarisant les connaissances et en montrant une approche différente. Il nous invite à visionner la bande annonce de « Il était une forêt » : https://www.youtube.com/watch?v=YpWhWp0ztuQ&ab_channel=LesCin%C3%A9masPath%C3%A9Gaumont

Hugo le rejoint, il n’en pense pas grand chose si ce n’est que l’étude des arbres existe depuis que l’humain créé des outils. Quelle essence utiliser, quelle usage, quel temps de pousse, quel potentiel de rotation, quel type d’exploitation… Le fait que la biologie moderne se penche ou non dessus n’a que peu d’importance, l’humain ne l’a pas attendu pour étudier les arbres.

8- Patrimoine :

¼ des forêts seulement sont publiques (donc librement accessibles) en France. Quelle est votre opinion sur la privatisation de l’espace naturel français ? Est-ce une bonne chose ou au contraire le début de la fin de l’accès à la nature ou de la surexploitation ?

Poursuivons avec Hugo, pour qui une gestion (publique) ne veut pas forcément dire une bonne gestion. Il préférera toujours un espace privé géré par une personne qui aime ça (puisqu’il le fait) et qui a un vécu et un affect sur ce territoire (héritage, propriété) plutôt qu’un plan-plan sorti d’une école et appliquant machinalement des cours. Selon son expérience, privatisation ne veut pas dire fermeture, beaucoup de gens se promènent dans des forêts privées sans le savoir. Pas mal de propriétaires laissent le libre accès à leur forêt, tant qu’il ne s’agit que de passage (c’est là que j’ai du mal, personnellement, nda). Il insiste sur le fait que privé ou public sert surtout à désigner la nature du responsable des lieux, et que comme partout dans l’espèce humaine on tombe sur des gens biens ou des gens moins bien (oui oui j’ai enlevé le gros mot j’avoue ! Nda). Cette diversité de types de propriétaires amène une diversité supplémentaire de notre territoire, puisque diversité de gestions.

Comme moi, Laurent regrette que nous n’ayons eu personne de l’ONF pour donner une réponse claire et argumentée sur la chose. J’ai essayé de les contacter, mais localement on me renvoie au service de presse, le service de presse ne répond qu’aux journalistes, les journalistes ne veulent pas leur poser de questions à ma place, je reviens au local qui me dit qu’il faudrait demander à l’agence proche de chez moi, mais ça ne répond pas… le bureau B14 vous connaissez la suite…). Quoi qu’il en soit, il ne voit pas la privatisation d’un bon œil car s’il constate que les pouvoirs publics ont déjà du mal à appliquer la loi en matière de protection environnementale, ça sera encore pire pour les particuliers qui n’ont pas de service juridique, d’accès aux agents de la préfecture ou des services environnementaux pour poser des questions etc… S’ils veulent couper un arbre, ils le feront et fin de l’histoire. Il nous renvoie vers cette bande annonce pour creuser la chose : https://www.youtube.com/watch?v=QT560lu9GXo&ab_channel=KMBOFilms

9- Bushcraft :

En France on ne peut camper ou faire de feu dans l’espace public, c’est quasiment interdit partout. En parallèle il est rare de connaître un propriétaire de forêt, encore plus rare si oui, qu’il veuille bien nous y accueillir. Aussi, pas mal de bushcrafteurs fraudent pour pratiquer leur passion. Est-ce que nous trouverons un « terrain » d’entente un jour pour tous s’aimer les uns les autres ?

Ce qui fait plaisir, c’est que parmi nos intervenants 3 ou 4 connaissent déjà le bushcraft, c’est énorme 4/6 alors qu’en France non-officiellement j’estime à 90% les gens qui en ignorent tout. Notre cher Stéphane, grimpeur à toute heure, débute sa réponse par un constat : en France nous avons un gros souci avec la vie en pleine nature. Comment l’expliquer ? La religion ? La non-ouverture d’esprit ? L’héritage terrien de la Révolution ? Il me raconte avoir pas mal voyagé dans les pays scandinaves (voir mon article à ce sujet ici : https://sovoyageurs.fr/pays-scandinaves-bushcraft/ ) et vu à quel point là-bas le respect était grand pour ce mode de vie un peu traditionnel. Non seulement il est autorisé mais il existe des commerces spécialisés dans le domaine (matériel, accompagnement, formation). Il me parle aussi de la Nouvelle-Calédonie où il a vécu et où le bivouac ou le camping ne posent pas de problème (pourtant c’est en France), et plus près de chez nous en Italie où il a eu bons nombres de bonnes expériences nature.

Laurent enchaîne en me narguant, car de son côté en tant que grimpeur d’arbre etc… il lui est souvent arrivé de dormir sur place en bivouac sans être jamais inquiété. Il ironise en disant que cela tenait peut-être au fait qu’il dormait tout en haut des arbres (vivons heureux, vivons cachés ?). A part les scouts, il est vrai que les enfants pour ne parler que d’eux, n’ont plus le droit de faire du feu, de marcher pieds-nus, de courir torse nu sous la pluie ou d’utiliser un couteau, déplore-t-il. Lui, quand il emmène des enfants en bivouac via son activité professionnelle, tout ce qu’on lui demande c’est d’avoir un accès pour les secours en cas d’accident, d’avoir un bâtiment dur non loin et de prélever tout ce qu’il fait manger aux enfants pour d’éventuels tests si intoxication.

Hugo, qui a été animateur nature l’espace d’une année, se souvient qu’en tant que bûcheron il a croisé pas mal de propriétaires de forêts, il n’était pas rare qu’il entende dire les uns comme les autres qu’ils n’étaient pas fermés à accueillir un ami campeur, tant qu’il connaissait à peu près la personne (pas de doute sur son sérieux). Le problème actuel, selon lui, est qu’il y a régulièrement des débordements dans les forêts et que ni les propriétaires ni l’État n’ont confiance envers le grand public pour utiliser les espaces forestiers de cette manière (camper, bivouaquer, bushcrafter). Ce n’est qu’en montrant patte blanche et en donnant des garanties aux gestionnaires que cela deviendra possible. Il ne doute pas qu’un jour un terrain d’entente se trouve, mais par contre pour ce qui est du quand, il se montre plus dubitatif.

Je constate que les autres intervenants ont gentiment éludé la question, je reviendrais à la charge dans un prochain article, on va bien finir par parler de bushcraft sur ce site de bushcraft !!!

10- Bivouac (dormir une seule nuit) :

Aujourd’hui quasiment toutes les disciplines ont accès à la forêt (chasse, pêche, VTT, footing…). La pratique du bivouac, bien qu’elle bénéficie d’un vide juridique, reste mal vue et est souvent sanctionnée sous couvert d’autres motifs amendables (couteau, hache, allumage d’un feu). Que pensez-vous de la mise en place d’un permis de bivouaquer (identique dans la forme au permis de chasse par exemple) avec un comité type ONF + pompiers + services techniques), qui permettrait de bivouaquer dans certaines forêts en respectant des normes de sécurité (feu, déchets, coupe de bois) ?

Laurent continue sur cette réponse, pour lui cette carabistouille sur le bivouac n’est pas viable (pas durable). Certaines professions devraient avoir une dérogation pour amener un groupe, sans autre forme de débats car la professionnalisation des personnes est une garantie suffisante selon lui, de leur sérieux et de leur respect pour l’environnement (pas de nature = pas de travail). Il cite par exemple en toute innocence les grimpeurs d’arbres ou les animateurs nature, les stages de bushcraft et de survie, les organisateurs de trek qui de toute façon… bivouaquent déjà il ne faut pas se leurrer.

Le problème est toujours le même, argumente Laurent, c’est celui qui va déféquer et laisser tout sur place bien visible, ou jeter ses déchets qui prennent de la place ou pèsent dans le sac, celui qui va faire du feu en pleine canicule dans le maquis corse ou dans les calanques. Cela est lié aux dégâts potentiels que peut subir la nature, mais il ajoute aussi le cas de celui qui, perdu ou blessé car mal préparé, va appeler les secours qui devront faire le déplacement (long et compliqué). C’est injuste mais c’est ainsi, on paye les pots cassés par d’autres.

Hugo est totalement pour ce genre de permis de bivouaquer, comme il l’a dit plus tôt, cela serait un très bon moyen comme la pêche ou la chasse de crédibiliser la pratique du bushcraft tout en redonnant vie aux espaces forestiers sous le prisme de cette discipline. N’oublions pas que le plupart des usagers de la forêt sont des sportifs (VTT, footing) ou des familles en courte promenade et qu’ils ne prennent pas franchement le temps de la découverte du milieu naturel. Alors qu’avec un peu plus de bushcraft dans leur vie, ils seraient curieux de chaque plante, chaque arbre, chaque insecte et chaque empreinte, essayant de résoudre des enquêtes naturelles sur le qui, quand, où, pourquoi. Bref pour en découvrir plus sur le bushcraft, allez voir mon article ici : https://sovoyageurs.fr/debuter-dans-le-bushcraft/

Stéphane, tique un peu sur le mot « permis de bivouaquer ». Bon, je sens bien qu’il n’a pas bien lu toute la proposition car il devait être la tête en bas à 30m de haut dans un chêne breton, entre deux cordes, mais il me répond : « et pourquoi pas un permis pour … déféquer…. dans les bois aussi ? ». Cela mènerait à des dérives selon lui, dès qu’on voudrait aller se balader plusieurs jours dans un espace naturel, il faudrait une autorisation, puis payer pour cela. Il estime que la pratique de la nature doit rester ouverte à tous mais de manière disciplinée et surtout en éduquant les humains à respecter la nature (école nature, éducation nationale, associations, projets gouvernementaux). Il propose de prendre exemple sur les pays nordiques où cela se passe très bien. Je pense (nda) qu’on est à des lieux de pouvoir faire comme eux, mais qu’il ne faut pas s’empêcher d’essayer car comme disait Oscar Wilde, à force de viser la lune, on finira bien par atterrir dans les étoiles !

En tant que moniteur de bushcraft, et puisque les autres intervenants ont éludé cette réponse comme ils en avaient parfaitement le droit je comble un peu, plus je réfléchis aux pours et aux contres, et plus je me dis que le permis de bivouaquer n’est pas si bête que cela. Imaginez en 1500 et quelques (aucune idée de la vraie date) quand un édit royal a instauré un permis payant pour la chasse, librement pratiquée depuis 300 000 ans en Europe, le tollé général ?! Finalement en 2020, 1 million de détenteurs, dans les campagnes cela fait partie du décors. Si aller dans la nature pratiquer son hobbie (le bushcraft) est interdit en France (armes coupantes, feu, couchage), ne serions-nous pas ouverts à quelques concessions pour pouvoir le faire légalement ? Je le redis, payer 20€ ou 50€ par an pour avoir le droit d’aller camper dans divers endroits (liste exhaustive au début, pourquoi pas, en accord avec l’ONF, les communes, les départements, les parcs), me semble donné en comparaison d’une amende de 135€ par personne pour un feu de camp même bien maîtrisé. Sans compter que la tranquillité de ne pas avoir la boule au ventre à chaque bruit, de peur d’être attrapé ou amendé, est un plaisir intarifable (néologisme) !

Alors oui, la nature payante… mais je ne dis pas que les balades à la journée doivent être payantes, juste l’activité du bivouac. Cela permettrait de créer un listing précis pour tirer des statistiques, faire une newsletter mensuelle ou annuelle de prévention des risques en milieu forestier, contrôler que chaque participant soit bien couvert juridiquement avant d’y aller… Je ne vois pas quel mal cela peut-il faire, au contraire, cela rendrait possible quelque chose d »aujourd’hui impossible et même illégal. Ceux qui n’en veulent, continueront comme aujourd’hui de jouer au chat et à la souris avec les carnets d’amendes, ou iront sur des terrains privés comme on le fait tous de nos jours.

-IV- ANNEXES : pour en apprendre plus sur le sujet

Situation de la forêt selon le site WWF : https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2020-05/20200525_Rapport_Forets-en-crise-analyse-et-propositions-des-ONG-de-conservation-de-la-nature-min.pdf

L’économie forestière en France selon France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/forets-francaises-un-grand-gachis

Présentation et chiffres de l’ONF : https://www.onf.fr/onf/forets-et-espaces-naturels/+/20::les-forets-de-nos-territoires.html

Le bois-énergie selon l’ADEME : https://www.ademe.fr/expertises/energies-renouvelables-enr-production-reseaux-stockage/passer-a-laction/produire-chaleur/dossier/bois-biomasse/biomasse-energie

Les déchêts liés au bois en France selon l’ADEME : https://www.ademe.fr/evaluation-gisement-dechet-bois-positionnement-filiere-boisbois-energie

Présentation et chiffres du ministère : https://agriculture.gouv.fr/infographie-la-filiere-foret-bois-en-france

État de santé selon le ministère : https://agriculture.gouv.fr/actualite-en-sante-des-forets

Lien entre la forêt et le climat selon le site WWF : https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/comprendre-limpact-de-la-foret-sur-le-climat

Mémoires d’ingénieurs Agrocampus, plein de réponses : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00873673

https://cel.archives-ouvertes.fr/MEM-AGRO-OUEST/dumas-02346702v1

Renan

Fondateur et moniteur à la Skol Louarn

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